Portraits d'entrepreneurs

Rañute, première boutique dédiée aux menstruations

By: GENILEM | septembre 22, 2022 | 7 min de lecture
Boutique menstruations Rañute

Les solutions écologiques pour les règles se démocratisent, mais elles restent mal connues. C’est ce qu’a compris Eléonore Arnaud qui a lancé une boutique dédiée à ces produits. Après un démarrage fulgurant, elle prépare l’ouverture de deux nouvelles enseignes.

Le 6 juin 2020. Eléonore Arnaud se souvient encore de cette date, à laquelle elle s’est mise en tête de changer ses habitudes et de trouver une culotte de règles, afin de réduire son impact écologique. « Il nous a fallu faire 20 kilomètres en voiture pour se retrouver dans une boutique bio avec peu de choix et aucun conseil. » C’est là que germe l’idée d’une boutique dédiée aux produits pour personnes menstruées. « Les culottes de règles, il faut pouvoir voir leur texture, on a besoin d’un contact physique avec le produit ! Mais les règles, c’est bien plus que cela. C’est des syndromes prémenstruels avant et pendant, les fuites urinaires, des soucis de périnée… Tous les mois, toutes les femmes cherchent des solutions pour des problèmes associés aux règles ! »

La jeune femme, au chômage au moment où elle peaufine son idée a auparavant travaillé dans le marketing et la culture. Le positionnement de sa boutique lui tient à cœur « je voulais un lieu où l’on puisse poser des questions, mais pas une pharmacie. Un endroit non médicalisé, où se sentir en confiance et qui dédramatise le sujet, où les tracas liés à la vie d’un vagin soient normalisés.»

La suite est un parcours fulgurant : elle initie un crowdfunding qui atteint son objectif en 45 jours. En décembre 2020, Eléonore Arnaud sort lauréate du concours Prêt ? Partez, Pitch ! de GENILEM, avant de remporter le programme d’accompagnement sur trois ans de l’association. Au même moment, six mois après la naissance de son idée, sa boutique Rañute ouvre à Renens, doublée d’un magasin en ligne. La couverture médiatique est importante et intense : Elle, Le Temps, 24heures, RTS….

Dès le premier mois, la boutique est rentable. En mai 2021, elle remporte le coup de cœur du jury et le prix du public du Prix Entreprendre Région Lausanne (PERL). En janvier 2022, Eléonore Arnaud fonde For Womxn, Period. une association qui lui permet de répondre aux nombreuses sollicitations d’interventions associatives ou scolaires. Elle développe ainsi 1000 kits de protections de produits durables, distribués gratuitement par la ville de Genève sur un dispositif de sensibilisation et d’information. Aujourd’hui, Rañute compte une employée, mais deux nouvelles boutiques doivent ouvrir à l’automne 2022: Toulouse, dont l’initiative a été amenée par des investisseurs privés (ouverte en novembre 2021, la boutique est fermée à l’été 2022 et rouvrira ses portes dans une nouvelle ville sous peu), et Genève.

Retour sur deux années intenses avec Eléonore Arnaud…

A l’heure du digital, votre innovation est paradoxale : ouvrir une boutique ! En quoi était-ce pionnier ?

Eleonore Arnaud : L’innovation première, c’était d’avoir un lieu physique et une gamme de produits complète pour les femmes et les personnes menstruées. Mais aussi à travers ce lieu et les conversations qui y prennent place, briser les tabous, normaliser le fait d’avoir ses règles. Avoir un pas de porte dédié à cette situation est un acte fort. Rentrer là, c’est dire : j’ai mes règles et je l’assume. Il y a tout un enjeu autour du fait d’avoir une « safe place », donc un endroit où les personnes peuvent venir parler, poser leurs questions sans tabou. Des toutes jeunes filles non menstruées viennent se renseigner. Et les clientes parlent aussi entre elles, de très belles choses se passent ! Nous avons aussi des personnes qui nous font part de soucis pathologiques : nous ne pouvons pas y répondre, par contre nous avons une liste de gynécologues, ostéopathes et professionnel·les formé·es à ces questions.

Je souhaitais aussi rendre les différents produits accessibles : pouvoir les voir, les toucher, les essayer, poser des questions, proposer des solutions pratiques, donc avoir le choix le plus large possible de produits qui répondent à toutes les problématiques imaginables: douleurs, règles abondantes, confort, écologie, etc.

Enfin la quatrième innovation, c’est la dimension écologique : toutes nos solutions sont réutilisables et issues du continent Européen (et du Québec pour l’une d’elles).

Votre entreprise a connu la rentabilité dès son premier mois. Quelle a été la valeur ajoutée de GENILEM dans ce parcours fulgurant ?

Avoir une ou un coach c’est super important, car cette personne référente nous suit et nous recadre, même si c’est nous qui décidons quoi faire au final. Les mises en relations et le portefeuille de connaissances très larges de GENILEM m’ont aussi forcée à sortir de ma zone de confort pour pitcher, synthétiser, ce qui a été très formateur ! Le monde de l’entrepreneuriat est par exemple très masculin, et il faut pouvoir orienter son discours à chaque public. Une femme sera évidemment plus sensible à l’utilité de ma boutique. Mais pour un public masculin, il m’a fallu le prouver avec des chiffres, des statistiques etc.  De plus, c’est aussi motivant pour moi de me comparer aux autres entrepreneurs et leurs difficultés, de réaliser que mon projet a avancé, que je suis solvable !

Vous avez connu une très large exposition médiatique à vos débuts : qu’en retenez-vous et quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui traverse la même situation ?

D’abord, la manière de solliciter les médias. On m’avait donné une liste de journalistes à contacter et personne, absolument personne ne m’a répondu ! Je suis donc allée sur les pages de médias généralistes sur les réseaux sociaux, et j’y ai posté des messages. C’est là que j’ai eu un retour. Ensuite, il y a eu un enchaînement d’invitations. Forum et Le Temps en particulier ont fait exploser notre visibilité.

L’exposition médiatique n’a pas suscité de rupture de stock à proprement parler, mais il est vrai que nous avions du mal à suivre la demande, je passais des commandes quasiment tous les jours.

Il faut savoir que les sollicitations médiatiques ne durent pas et que le vrai travail de communication démarre ensuite ! 10 000 followers sur les réseaux sociaux c’est joli, mais cela ne fait pas tout, cela ne se transforme pas en ventes !  Ce qui compte à mon sens c’est le bouche-à-oreille : deux tiers de notre clientèle vient car on leur a parlé de nous. C’est donc la qualité du service et des produits qui doit faire la différence. 80% de notre chiffre d’affaires se fait en boutique : il faut donc avoir la bonne personne en boutique. Une bonne vendeuse sait mettre à l’aise les gens et leur propose le produit qui va leur convenir, même s’ils n’y pensaient pas au départ. Pour la vente en ligne, ce qui compte, c’est de répondre très rapidement, car les gens sont habitués à cela aujourd’hui. Tout comme expédier dans les délais les plus courts possibles et proposer des retours.

Vous êtes une entreprise qui vise la rentabilité, qui se mesure avec un chiffre d’affaires, mais aussi une entreprise à mission ou à impact, dont le résultat se mesure plutôt au changement de comportements, puisque vous avez fondé une association qui sensibilise sur la question des règles, vous intervenez dans les écoles… Comment articulez-vous ces deux dimensions ?

Je n’y ai jamais réfléchi de manière consciente ! (rires) L’association a été montée pour répondre à des besoins, car nous avons été sollicités par des villes ou établissements qui souhaitaient faire appel à nous pour des ateliers et des conférences, et nous ne pouvions pas y répondre en tant qu’entreprise. Quand je fais des interventions, je ne parle pas de la boutique et quand les gens me demandent où acheter des solutions, je cite toujours plusieurs endroits.

A mon sens, il y a encore beaucoup de tabous et de non-dits à lever sur la question des menstruations en Suisse. Les pouvoirs publics se sont emparés du sujet de la précarité menstruelle qui est l’un d’eux et c’est bien que nous puissions les accompagner sur ce volet. Pour moi l’enjeu, tout autant que les tabous sociaux, c’est la question écologique, car il est évident que les protections jetables vont disparaître dans quelques années. Les règles sont le sujet par excellence qui montre à quel point santé publique, égalité sociale et questions écologiques sont liées ! Plusieurs objectifs du développement durable sont concernés par ce sujet.

Vous allez ouvrir deux autres boutiques : était-ce votre stratégie initiale ? Comment imaginez-vous ce développement, avec un réseau de franchises ?

Non tout cela n’était pas prévu, c’est le fruit de rencontres. Je n’ai pas l’impression de créer une tendance mais plutôt d’avoir du mal à la suivre! Mais au fond, je suis très confiante, je me dis que tout ce qui doit se faire se fait, je tente d’avancer avec sérénité. J’ai bien sûr pensé à la franchise, j’étudie en ce moment cette option. Mais il est vrai que le commerce de détail est une activité qui peut effrayer en ce moment, parce que la conjoncture est compliquée. Il faut avoir un vrai esprit d’entrepreneur, une solide volonté de travailler. Mais j’ai une position de leader à tenir, maintenant !

Propos recueillis par Camille Andres