Neolec, optimiser la consommation d’énergie photovoltaïque
Fondée par Nia Youmby, cette startup développe un système qui mesure et prédit la production et la consommation électrique d’un bâtiment. Une aventure entrepreneuriale entre deux continents, portée par un contexte énergétique tendu.
Nia Youmby le répète souvent : sa solution aux problèmes d’énergie est née de son parcours atypique, et de difficultés qu’il a observées dans plusieurs pays, entre l’Europe et l’Afrique. Formé à l’informatique de gestion, Nia Youmby poursuit sa carrière dans la finance de marché et plus particulièrement dans le trading d’électricité. Après plusieurs années dans de grands groupes à Paris, Londres, puis Lausanne en Suisse, il se lance dans une première aventure entrepreneuriale, visant à améliorer les batteries au Cameroun, où elles sont très répandues mais peu efficaces. Il réalise alors que cette logique d’optimisation peut aussi s’appliquer en Europe et décide de créer une société, Watt3 SA avec un associé en 2018. Toutefois, une différence de vision avec ce dernier entraîne la fin prématurée de ce projet l’année suivante.
En 2020, il lance Neolec, entreprise qui vise à éviter les pertes d’énergie photovoltaïque. En effet, en moyenne, un bâtiment équipé de panneaux photovoltaïques atteint un taux d’autoconsommation de 30% seulement. Les 70% d’énergie solaire produite sont en réalité perdus ou revendus à un fournisseur d’énergie pour des tarifs souvent peu intéressants. S’adjoindre une batterie permet d’augmenter ce taux mais très souvent, celle-ci dépend aussi du réseau électrique pour fonctionner. L’innovation conçue par Nia Youmby consiste en un boîtier qui réunit toutes les informations sur la production d’énergie solaire et la consommation du bâtiment. Couplé à des algorithmes de prédiction des consommations d’énergie futures, il permet de redistribuer intelligemment cette énergie vers différents équipements (chaudière, radiateurs, pompe à chaleur…).
Si la naissance de Neolec doit beaucoup au Cameroun et à ses tarifs élevés en matière d’électricité, le contexte énergétique inédit en Europe survenu début 2022 a rendu la solution développée par la startup particulièrement intéressante pour le marché Suisse. Aujourd’hui, le système de Neolec est prêt à la commercialisation mais connaît encore des développements, notamment la formalisation de son brevet. Il est déployé chez une vingtaine de clients en Suisse et en Afrique. Le salaire des quatre salariés de la société, travaillant uniquement pour la partie R&D, est exclusivement financé par Nia Youmby, grâce à des mandats de consultants qu’il effectue dans le domaine de l’énergie. Entretien.
Quelle partie de votre innovation souhaitez-vous faire breveter ?
Nia Youmby : Pour être efficace, notre système fonctionne à l’aide de données. Or, les fabricants de hardware (pompes à chaleur, ballons d’eau chaude, chauffage…) fournissent des produits qui apportent très peu de données, et celles-ci fonctionnent dans un écosystème fermé. Notre option c’était donc de fixer des capteurs sur ces installations pour pouvoir communiquer avec notre boîtier. Mais cela serait revenu beaucoup trop cher. Nous avons donc opté pour une autre solution : conserver les capteurs existants aujourd’hui sur ces appareils, mais les relier à notre boîtier. Ce qui nous permet de monitorer ces équipements … mais aussi de les piloter à distance pour optimiser leur fonctionnement. C’est ce système de monitoring à distance que nous aimerions breveter. Une société spécialiste se charge de notre dossier et nous pensons finaliser l’obtention du brevet début 2023.
Votre business model actuel ne prévoit pas de facturer les clients, pourquoi ?
Je suis un peu en désaccord avec la culture startup qui dit qu’il faut faire payer le client même pour un prototype ou un produit non abouti, au motif que cela l’engage et donnerait de la valeur au travail fourni. Dans la phase de démarrage où nous sommes, nous testons des prototypes. J’ai besoin d’avoir des retours clients pour savoir comment notre solution se comporte dans la réalité, bien différente de la situation en laboratoire. Mais je dois choisir entre investir du temps pour améliorer la solution et le modèle d’affaires ou me consacrer à la relation client. A ce stade, je préfère améliorer l’outil. Bien entendu, le fait de ne pas avoir de pression ni d’urgence nous laisse un certain confort, même si cela représente également une forme de risque, j’en suis conscient. Mais dans un second temps, une fois que le concept sera complétement validé, la solution sera validée comme un ‘platform as a service’. L’idée est d’avoir des revenus réguliers, sous forme d’abonnements à nos services qui optimisent le rapport production/consommation d’énergie solaire. Plus les coûts de l’électricité seront élevés, plus notre service deviendra intéressant.
N’est-ce pas compliqué d’être consultant tout en dirigeant une startup ?
Ici aussi, je me démarque un peu de la culture startup traditionnelle, sans doute du fait que j’ai 45 ans et trois enfants. Le discours habituel est de se consacrer 200% à son projet en tant qu’entrepreneur, de montrer aux investisseurs potentiels qu’on est totalement dévolu à son entreprise. Mais un investisseur qui vous voit amaigri et complètement stressé n’aura pas forcément confiance en vous, au contraire. Sans compter que le rapport de force avec lui ne sera pas le même. Quand on est jeune et que l’on sort fraichement de l’université, on a très peu de contraintes, ce qui n’est pas mon cas ! J’ai en revanche plus de 15 ans d’expérience que je peux valoriser en tant que consultant, cela me donne un peu plus de stabilité financière ! La sécurité financière et l’équilibre familial sont fondamentaux… En résumé, la vie d’entrepreneur reste un équilibre instable et fragile. Donc pour répondre à la question, oui c’est très compliqué !
Ce n’est pas la compréhension intellectuelle qui me faisait défaut, GENILEM m’a apporté une intelligence émotionnelle quant à ce milieu (ndlr: celui des startups), essentielle.
Vous êtes justement solidement expérimenté. En quoi GENILEM vous aide dans votre parcours d’entrepreneur ?
Je trouve cette aide très efficace. GENILEM me force à sortir du monde des grandes entreprises qui n’a rien à voir avec celui des startups. Ce n’est pas la compréhension intellectuelle qui me faisait défaut, GENILEM m’a apporté une intelligence émotionnelle quant à ce milieu, essentielle.
Dialoguer avec un coach me permet aussi d’être conforté dans mes choix, d’avoir davantage confiance dans mes décisions. Et puis avoir un mentor c’est aussi entendre d’une tierce personne des vérités que nous n’avons pas forcément envie d’entendre, parfois un peu abruptes mais nécessaires pour avancer et revenir sur terre. Au demeurant, étant moi-même coach chez Zion Kick-up Startup pour des jeunes startups africaines, je comprends l’intérêt d’être accompagné…
Comment voyez-vous le développement de Neolec ?
J’ai eu une explosion de demandes de particuliers en Suisse, suite à un article dans le quotidien romand 24 Heures. Mais face à la saturation du marché du photovoltaïque ici (les installateurs avec qui je travaille sont tous débordés) j’ai décidé de développer d’abord le projet en Afrique de l’Ouest. Trois pays d’Afrique francophone m’offrent l’opportunité de déployer notre solution sur plusieurs bâtiments, ce qui est plus stratégique pour l’entreprise. C’est donc là-bas que se déploiera notre activité dans les six prochains mois. Le marché suisse sera développé activement à partir de mi-2023. D’ici là, nous répondons bien entendu aux demandes, mais sans développer de campagne active d’acquisition de clients. Pour ce qui est du marché français, nous avons déjà été approchés pour des collaborations. Comme cela prend plus de temps à se mettre en place, je vise ce développement pour 2024.
Propos recueillis par Camille Andres / Crédit photo de couverture : Laurent de Senarclens