Portraits d'entrepreneurs

Math Ascension, un jeu qui conjure la peur des maths

By: GENILEM | mars 12, 2024 | 4 min de lecture
jeu video mathematiques

Pédagogue, Robin Pétermann a conçu un jeu vidéo qui permet aux enfants de surmonter leur anxiété face au calcul. Un produit rapidement adopté par ses utilisateurs, mais qui cherche désormais son marché.

Au cours de sa formation de professeur au niveau primaire, Robin Pétermann constate en classe combien la « peur » des maths est répandue. 60 % des enfants seraient concernés par cette forme d’anxiété selon des études. « Des recherches montrent que si l’on confie une tâche à un groupe d’enfants en leur spécifiant qu’il s’agit de mathématiques, ils la réaliseront moins bien qu’un autre groupe à qui cette indication n’a pas été donnée », explique l’entrepreneur. L’anxiété est évidemment un frein à l’apprentissage : elle paralyse la confiance en soi, pousse les personnes concernées à éviter des situations, etc.

Pour contrer ce sentiment, Robin Pétermann, par ailleurs familier des jeux vidéo, se lance dans la création d’un jeu concentré sur l’apprentissage mathématique, Math Ascension. En 2018, étudiant dans un master spécialisé à Genève (Master of learning and teaching technologies) il y découvre toutes les disciplines accompagnent la technologie : ergonomie, expérience utilisateur, développement de code. En participant à des « meet-ups », réunions informelles de développeurs de jeux vidéo indépendants, il rencontre petit à petit des personnes qui vont l’accompagner pour son projet : artiste 2D, gestionnaire de projet, game designer, graphiste. Une première version du jeu est créée dès 2020, complètement bénévolement par l’ensemble de ces professionnel·les, ayant par ailleurs toutes et tous un emploi. Pour sa part, Robin Pétermann accompagne les enseignant·es de l’Université de Genève dans la création de cours en ligne. Math Ascension est graduellement amélioré, jusqu’à intégrer, dans sa dernière version, en 2023, des outils pour permettre aux enseignant·es de suivre les apprentissages et de paramétrer le jeu en fonction des publics (handicap, dyspraxie) et des spécificités des élèves. Une SÀRL dédiée, Pestorosso Games est créée et la graphiste Lúcia Ribeiro devient co-fondatrice du projet.

Math Ascension jeu video


Le secteur public, initialement imaginé comme espace de diffusion du jeu se montre frileux en raison de la dimension numérique de l’outil. Les écoles privées approchées adoptent pour leur part la solution après un mois d’essai, en général. Un millier de ventes a aussi été atteint sur QoQa. Désormais, c’est un travail de marketing et de commercialisation qui attend l’équipe, avant de se lancer sur le développement d’autres jeux. Retour sur cette première aventure avec Robin Pétermann

GENILEM : Quelle est l’innovation principale de votre jeu ?

Robin Pétermann : C’est le fait de cibler l’anxiété mathématique et de s’adapter aux difficultés de chaque enfant. Bien entendu notre jeu a pour vocation d’enseigner les multiplications, mais surtout il permet de dédramatiser l’apprentissage des mathématiques, un problème partagé par une majorité de la population. Cette anxiété est multifactorielle, mais l’un des paramètres qui y contribuent est la comparaison sociale. Dans notre jeu, il n’y a tout simplement pas de comparaison des enfants les uns envers les autres, ni de notes. Les joueurs ou joueuses voient une progression, mais celle-ci n’est pas chiffrée. Autre innovation, le jeu s’adapte de lui-même à chacun et chacune. S’il détecte qu’une personne est avancée, la difficulté de l’ordinateur sera plus corsée, mais celui-ci va toujours veiller à la garder dans sa zone proximale de développement : on lui proposera des défis, mais pas trop. Les calculs moins bien maîtrisés reviennent ainsi de manière répétée, mais répartis parmi d’autres calculs qui sont sus. C’est exactement ainsi que l’on procède en classe, en enseignement individuel.

Math Ascension defis

Quel a été votre plus gros défi ?

Notre business plan prévoyait de développer l’outil dans le secteur public, mais cela n’a pas fonctionné. Il nous a donc fallu trouver d’autres débouchés en matière de commercialisation. Nous avons pourtant tenté par tous les moyens, pendant un an, avant de comprendre que les enseignants seraient preneurs, mais qu’il existe un enjeu financier. Et surtout, un blocage politique face au numérique sur lequel les adultes projettent leurs peurs en fonction de leur propre consommation des écrans.

Justement, dans votre projet, numérique et durabilité (sociale, environnementale) sont-ils compatibles ?

Je pense qu’il faut enseigner aux enfants l’usage des écrans. Le numérique reste un outil. Comme toute transition culturelle et médiatique, on projette nos craintes sur cette nouveauté. Pourtant il suffit de placer des limites à l’usage. Dans notre jeu, ces limites de temps peuvent être paramétrées. Et de plus, elles sont scénarisées : une course bonus est proposée peu avant le moment final paramétré par la limite de temps, et un au revoir est scénarisé avec les personnages, avec la perspective de se retrouver un autre jour.

En ce qui concerne l’impact CO2 : notre jeu nécessite très peu de ressources tant en termes de transfert de données que matérielles. Cela a été fait à dessein, pour que des écoles équipées avec des tablettes achetées il y a cinq ans puissent toujours l’utiliser. Il n’est en rien comparable aux jeux multijoueur en ligne qui envoient des données 60 fois par seconde à un serveur. Math Ascension communique quelques kilooctets toutes les cinq minutes.

Quelles sont vos perspectives de développement ?

Plus de 11 000 personnes utilisent actuellement ce jeu, qui reste consommé en grande partie gratuitement. Le but est d’encourager davantage les anciens et nouveaux utilisateurs à s’abonner et l’acheter et nous sommes en train de peaufiner notre offre marketing dans ce sens. Ensuite, nous pourrons concevoir d’autres jeux d’apprentissage sur la même logique.

Comment vous a aidé votre coach GENILEM ?

Pascal nous a permis de challenger le modèle économique du jeu, nous faire sortir de notre espace de développement, aller voir les écoles, ou des plateformes comme QoQa. L’approche de GENILEM a été très pragmatique sur la vente et les étapes à suivre, là où nous-mêmes n’avions pas une idée très précise de cette dimension.

Et d’une manière plus générale, GENILEM a été très structurant pour nous. Les trois phases de sélection de GENILEM sont très formatrices, font sens et sont bien pensées. Elles ont amené une entreprise comme la nôtre à réussir à présenter notre projet, le structurer et construire un business plan à même d’être défendu auprès d’investisseurs externes. C’est un processus qui nous a apporté beaucoup et continue de le faire.

Propos recueillis par Camille Andres

Crédits photos : Qoqa