Les clés pour lever des fonds pour les entrepreneuses

L’égalité des chances reste un problème dans l’entrepreneuriat. Les femmes font face à des blocages structurels et personnels pour développer leurs entreprises. GENILEM s’est associée à la Fondation pour l’Innovation et la Technologie (FIT) pour proposer des solutions lors d’une soirée dédiée, fin janvier. Quelques clés.
Les femmes sont moins nombreuses à créer des entreprises, et lèvent moins de fonds : ce constat, connu et ancien est partagé par la FIT comme GENILEM. Des progrès sont cependant à relever, puisque contre 14 % de co-fondatrices en 2014, les entreprises soutenues en comptent désormais 36 %, note la FIT. Mais des efforts restent à faire pour parvenir à un « tissu économique varié et diversifié, qui est une force », comme le rappelle David Narr, directeur de GENILEM.
Comment faire ? D’abord encourager le leadership féminin. Jenny Chammas, coach spécialisée et créatrice du podcast centré sur la vie professionnelle Sensées — aux trois millions d’écoutes — a livré une masterclass ciblée en la matière.

« Je n’ai pas ma place ici »
Première étape : nommer ce qui bloque l’entrepreneuriat féminin. La socialisation genrée constitue un obstacle évident, concevoir des femmes qui dirigent des entreprises profitables, lèvent des fonds ne fait pas encore partie d’une normalité partagée et évidente. Les biais de genre découlent de cet état de fait. Chercher des fonds pour une entrepreneuse ou en accorder à des femmes pour un investisseur demande encore une certaine audace. Et c’est ici que se nichent les barrières les plus insidieuses. « Les freins internes sont un poids de taille pour les femmes qui lancent leur activité. Pour réunir des fonds, il faut s’imaginer en train de le faire ! Cela requiert une confiance en soi, une posture de leader », explique la coach. Or, lever de l’argent provoque souvent des émotions négatives, de l’inconfort du stress. « Ce n’est pas fait pour moi », « je ne sais pas comment faire », « je n’ai pas ma place ici » restent des croyances fréquentes chez des cheffes d’entreprise ou porteuses de projets présentes dans l’audience. Ces blocages, ancrés et toxiques pour les femmes qui souhaitent entreprendre peuvent être combattus méthodiquement avec quatre ressources, que partage Jenny Chammas.
Second conseil, considérez votre levée de fonds comme un jeu, pour lequel il suffit d’acquérir les règles et la stratégie, voire de dénicher votre mentor. « Trouver de l’argent devient une compétence semblable à une autre. Et vous vous améliorerez au fil du temps ! », pointe Jenny Chammas. Passer en mode « jeu », c’est accepter d’apprendre en permanence et considérer les erreurs comme des étapes normales et surmontables. Mais aussi, oser bluffer ! « C’est le fameux “fake it until you make it” : enfiler un costume, parler d’une voix forte, se tenir droite représentent autant de manières de mettre en avant les atouts de votre projet. » Jouer, c’est aussi et surtout s’amuser « jusqu’à ce que lever de l’argent devienne addictif, excitant, énergisant ! », témoigne une participante.
Parvenir à cet état demande du temps, mais également un solide entourage. C’est la troisième recommandation de Jenny Chammas : écoutez les conseils de personnes déjà passées par cette mission, réseautez, entourez-vous. Enfin, face aux montagnes russes de l’entrepreneuriat, la coach rappelle qu’il est essentiel de remettre les émotions à leur juste place. « Une émotion au final n’est qu’une vibration qui traverse votre corps durant 90 secondes ! » Autrement dit, angoisse, honte et sentiment d’illégitimité sont inévitables — et les témoignages de la salle prouvent qu’ils sont largement partagés. Mais en aucun cas ils ne doivent prendre toute la place. Les techniques de gestion du stress et des émotions (rosace, visualisation de l’arc-en-ciel), sont innombrables : à chacun de trouver la sienne.
Le leadership est une chose, mais même avec les meilleures capacités d’« empouvoirement », vous affronterez des inégalités persistantes, d’ordre systémique. Sans compter les problématiques que rencontre tout entrepreneur (priorisation, anxiété, réseautage, choix stratégiques…). Face à cela, quelques pistes précieuses par un panel d’entrepreneuses expérimentées et d’experts, réunis par GENILEM pour la seconde partie de cette soirée.

Savoir pourquoi lever des fonds
« Avez-vous juste un souci de trésorerie, un besoin de fonds de roulement, ou de tester votre business, ou encore de grandir ? » Margaux Peltier, co-fondatrice d’Enerdrape introduit cette question fondamentale qui déterminera votre stratégie, votre choix d’investisseur… Et votre pitch. « Il faut être très claire sur votre objectif, vos interlocuteurs veulent comprendre comment sera utilisé l’argent », complète Maddalena di Meo, co-fondatrice de FirstMed. Une clarification qui peut faciliter les choses : « dans certaines situations, l’autofinancement suffit », rappelle Brigitte Baumann, fondatrice d’Efino et business angel.
S’approprier l’univers du financement
« Un business angel prend 2 à 5 % de son patrimoine pour investir dans des startups, il veut récupérer l’argent, mais ses motivations sont autres que financières. Un venture capitalist a passé du temps à convaincre des tiers à lui donner des fonds, il doit leur montrer que chaque startup dans laquelle il investit possède un potentiel d’augmentation de sa valeur sur les cinq prochaines années. Le corporate venturing, investissement direct d’une entreprise, est réalisé à des fins stratégiques pour le futur de l’entreprise en question », décrypte Brigitte Baumann, fondatrice d’Efino et business angel. Ces termes vous donnent le tournis ? « Prenez le temps d’acquérir ce vocabulaire ! On n’est pas tous sortis d’un milieu académique, l’entrepreneuriat n’est pas réservé aux personnes ayant fait un cursus parfait, je suis la première à avoir dû me former, mais c’est possible si un projet vous tient à cœur… Et existez dans ce que vous êtes capables de faire », exhorte Maddalena di Meo. Outre le vocabulaire, prenez le temps de réfléchir à quelques principes de base, « votre gestion du risque. Votre capacité à rester maître du projet sans être majoritaire dans l’entreprise », détaille Maddalena di Meo.

Comprendre les critères et besoins des investisseurs
Les investisseurs prêtent d’abord attention à un critère essentiel, « l’équipe », reconnaît Antoine Fatio directeur de la Fondetec. « Avec une mauvaise équipe, un bon projet n’a aucune chance. » Et bien entendu, le produit ou service qui vous singularise sur le marché. Mais « n’hésitez pas non plus à interroger les futurs investisseurs : quelle est la taille de leur fond, quand est-il né, combien ont-ils déjà investi et dans quels secteurs… », conseille Margaux Peltier, co-fondatrice d’Enerdrape pour qui cette pratique, menée avec tact, permet de gagner beaucoup de temps, et de montrer sa crédibilité. À l’inverse, si des questions « déplacées » surviennent — par exemple des interrogations sur « vos projets d’enfants », ne prenez pas immédiatement la mouche, mais replacez-les dans le contexte. « C’est une discussion business, pas personnelle. Dans ce cadre, un congé maternité est vu comme un risque, surtout si l’entreprise repose sur vous », précise Margaux Peltier.
Anticiper le temps nécessaire
L’erreur courante ? « S’y prendre trop tard, car on sous-estime le temps nécessaire et les difficultés », observe Julien Guex, directeur de la FIT. Ce temps perdu, c’est de l’argent en moins, si votre entreprise se dévalue faute d’avoir pu grandir. « 10 % de 100 reste toujours plus que 100 % de 0 », résume-t-il. En moyenne, une levée de fonds est estimée entre 6 et 9 mois « mais pour nous, cela a plutôt représenté 12 à 18 mois… Une période au cours de laquelle nous avons moins pu agir sur le business », observe Margaux Peltier. Attention aux nombreux « contacts » qui vous approcheront : ils ne signifient pas que l’argent de partenaires est acquis, simplement que vous avez été repérée par des professionnel×les du domaine.
Communiquer, réseauter, se faire connaître
Combien d’organismes de soutien connaissez-vous ? Quels sont les événements auxquels vous pourriez participer ? L’écosystème entrepreneurial suisse est vaste. Pour vous en sortir, GENILEM a réalisé une cartographie détaillée et régulièrement mise à jour des aides à votre disposition au niveau cantonal (Vaud, Genève) et national. Autre outil extrêmement précieux : elle a également dressé un aperçu des initiatives pensées spécifiquement pour les entrepreneuses.

À vous d’« y aller au culot, de bousculer, de toquer aux portes, de poser des questions, d’interpeller sur LinkedIn », suggère Maddalena di Meo. « On voit encore trop de gens qui n’osent pas parler de leur projet par peur qu’on leur vole leur idée. Or obtenir des feed-back reste largement plus utile que de rester méconnu », rappelle Julien Guex. Échanger, se rendre visible c’est peut-être un futur lien avec un investisseur, ou des pairs qui traversent les mêmes problématiques et peuvent partager des idées et des ressources. Enfin, pour réussir à vous situer, Brigitte Baumann a mis en place un outil pour savoir si vous êtes prêt⸱e à lever des fonds. Au moyen d’une IA et avec quelques questions clés — selon quelles clauses, avec qui, pourquoi, avec quelle stratégie et connaissances —, cette autoévaluation peut être rapidement effectuée en ligne.
Le meilleur conseil ?
Antoine Fatio : « Rester soi-même : entreprendre, c’est être différent »
Julien Guex : « La résilience. Vous affronterez beaucoup de “non”, par définition ».
Margaux Peltier : « Se tenir prêt×e, avec tous ses documents pour appuyer sa demande »
Maddalena di Meo : « Ne pas s’excuser d’exister. S’affranchir du regard des autres et de la société, penser à pourquoi on est là. Ce n’est pas le nombre de zéro qui compte, c’est vous qui donnez de la valeur à votre projet ».
Brigitte Baumann : « S’entourer d’un board. Ces personnes qui viennent pour accélérer votre business vous apportent une préparation psychologique d’une grande aide pour des décisions futures. »
Propos recueillis par Camille Andres – Crédits photos Maud Guye-Vuillème