Portraits d'entrepreneurs

Kooko, la livraison de repas responsable pour les entreprises

By: GENILEM | octobre 10, 2023 | 5 min de lecture
kooko equipe

La startup lausannoise a commencé par s’adresser aux particuliers, via une app dédiée. Deux ans plus tard, elle se concentre sur les entreprises et a délaissé un temps le tout-digital. Une transformation qui a permis à Kooko de trouver son marché et d’envisager sereinement sa croissance. 

Quand Guy Beroud a été invité à une « fuck-up » night en Valais, la perspective de parler de ses échecs lui a d’abord paru « suspecte », mais à y bien penser « les erreurs ont été nombreuses et riches d’enseignement en à peine deux ans d’entrepreneuriat. » 

Aujourd’hui, l’entreprise qu’il a co-fondée, Kooko, compte 3 employés (ETP) et livre entre 3 à 4 entreprises lausannoises tous les jours. La startup cible les zones industrielles ou périphériques (St-Sulpice, Prilly, Le Mont) faiblement pourvues en restaurants. Le processus est simple : elle propose chaque semaine des repas issus de trois ou quatre restaurants lausannois, sélectionnés avec soin, récolte les commandes jusqu’à 10h30 et livre à l’heure du déjeuner.  

Revenu à un système de commandes artisanal après avoir développé sa propre application, Kooko privilégie en ce moment une croissance raisonnée lui permettant de développer sereinement ses outils numériques. 

Mais pour arriver à ce processus, le chemin a été long.  

En été 2020, quand ce juriste spécialisé en droit des sociétés rencontre Eric Chautems, développeur, c’est autour de l’alimentation durable qu’ils échangent. Eric propose alors un projet d’entreprise ambitieux: un écosystème numérique regroupant tous les acteurs de l’alimentation durable. A leurs yeux, le secteur de la livraison présente les problématiques à solutionner les plus importantes : précarité des emplois, moyens de transports utilisés et déchets générés. L’ambition affichée par les fondateurs : devenir un ‘uber eats’ durable, en proposant des repas les plus locaux possibles, livrés à vélo, tout en rémunérant leurs coursiers correctement.  

kooko partenaire

En juin 2021, ils lancent leur solution b-to-c, comptent dix restaurants partenaires, des dizaines de coursiers sous contrat pour un service six jours sur sept via une app dédiée. Ils comptent rapidement 800 clients réguliers, mais la solution numérique comporte des failles et la fidélisation en pâtit. Un an après le lancement, l’entreprise réduit sa voilure et teste de nouveaux concepts. Quelques mois plus tard l’application elle-même est abandonnée et Kooko se spécialise dans la livraison aux entreprises, qui lui apporte aujourd’hui un équilibre. Retour sur des apprentissages en série avec le co-fondateur, Guy Beroud. 

Vous avez démarré « trop fort et trop vite », qu’est-ce que cela vous a appris ? 

Guy Beroud : D’abord, que, pour grandir il faut que le MVP (minimum viable product) soit largement éprouvé. Nous avons voulu faire du lean start-up, mais sommes vite tombés amoureux de notre solution. Un travail colossal a été réalisé pour la développer. Investir autant de temps et d’énergie dans une solution peut retarder les bonnes analyses. Nous avons cherché à diversifier l’offre, investi beaucoup dans le marketing et multiplié les nouvelles fonctionnalités, avant de questionner l’outil utilisé. 

Ensuite, qu’il faut être réactif. Nous avons perdu de l’argent durant plusieurs mois, tardé à prendre les décisions qui s’imposaient économiquement. La course au volume nous a coûté cher. Il est compliqué de licencier lorsque les équipes adhèrent aux valeurs de l’entreprise et restent enthousiastes malgré les faibles résultats.  

Autre leçon : le comportement des clients en b-to-c a été modelé par la concurrence des plateformes existantes, ils s’attendent à un service similaire. Les contraintes que nous imposons, notamment la précommande, sont autant de freins. Et proposer du « slow delivery » pour la « slow food » tenait pour nous de l’évidence… mais cela s’inscrit à contre-courant des habitudes de consommation. 

Enfin : observer la réalité du terrain et identifier les besoins réels ! Le produit doit répondre à un besoin du client. Soyez critiques à l’égard des intentions exprimées dans vos sondages, et méfiez-vous de vos propres biais. Certaines méthodes artisanales sont parfois préférées au tout numérique. Cela est particulièrement vrai pour le secteur B-to-B où le contact personnel demeure la clé du succès. Nous avons développé des outils informatiques en anticipant certains besoins, mais dans les faits les clients ne les utilisaient pas comme nous les avions conçus.  

kooko livraison repas

Quelle est votre approche désormais ? 

Nous sommes beaucoup plus prudents et sommes revenus à l’essentiel. Nous appliquons une règle simple : aucune vente à perte. Loin des stratégies d’occupation de marché de nos concurrents, cela nous permet de coller à nos valeurs. Avant d’activer un coursier on s’assure que le volume de commande soit suffisant, il y a donc des contraintes pour les consommateurs (commander avant 10h30) et un volume de panier moyen (120 francs par commande) pour qu’une livraison se fasse.  

Un modèle d’abonnement pour les entreprises est sur le point d’être mis en place, de manière à planifier davantage nos livraisons et garantir un certain taux d’engagement de nos coursiers. Côté clients, c’est le moment de partage et convivialité au bureau sur lequel nous insistons. 

Votre croissance est organique, quels choix cela suppose ? 

Notre croissance a toujours été modeste et à échelle humaine. L’autofinancement et le travail qu’Eric et moi fournissons, non rémunéré, sont nos premières sources de financement. Les huit premiers mois, j’étais à 100% engagé dans l’entreprise, en février 2022, j’ai eu l’opportunité de pouvoir enseigner à l’EHL en complément.  

Nous avons aussi obtenu un soutien FIT Digital pour développer notre outil en septembre 2021. Et levé 35 000 francs en crowdfunding deux mois après, mais c’est tout. Notre état d’esprit depuis le début, c’est de garder un contrôle sur les valeurs de l’entreprise et sa croissance : tant que nous n’avons pas de preuves, par le marché, qu’il existe un potentiel de croissance élevé, nous ne levons pas de fonds. Et c’est ce choix qui nous a, tout du long, permis de garder une vraie flexibilité. 

A quel moment de votre aventure le coaching de GENILEM s’est-il avéré précieux ? 

Tout du long, pour prioriser des objectifs et des tâches : un suivi sérieux indispensable lorsqu’on porte un projet aussi ambitieux que le nôtre et qui peut vite partir dans plusieurs directions. 

Mais je me souviens en particulier d’un challenge board (conseil d’administration fictif organisé par GENILEM), où je défendais le fait d’attendre que notre outil soit prêt avant de reprendre le démarchage commercial. Et en face, Alexandro Soldatti, m’a fait réaliser que je ne dirigeais pas (encore) une société IT, mais bien une entreprise de livraisons de repas : même sans outil technique, je pouvais déjà vendre des plats. Il me fallait changer d’état d’esprit, c’est ce genre de déclics qui m’ont été précieux ! 

La durabilité est votre moteur, est-elle compatible avec la rentabilité pour vous ? 

Effectivement la durabilité au sens large est très présente : de notre choix de recrutement et de rémunération des livreurs, à notre charte des valeurs sur la sélection de nos restaurants, les livraisons à vélo, et même le modèle d’affaires (nos statuts prévoient le réinvestissement des bénéfices pour l’éducation). On a envie aussi de laisser plus d’initiatives aux employés, on réfléchit à des modèles avec rémunération variable, d’intéressement au développement de l’entreprise… 

La durabilité est élément de différenciation, mais, le prix demeure l’élément auquel le client accorde le plus d’importance. Nous tentons de pratiquer un prix équitable tout en demeurant compétitif, cela passe nécessairement par une rationalisation de nos livraisons que seul le marché B2B peut offrir. Alors oui, nous n’irons pas concurrencer les géants sur le terrain de la livraison à domicile, c’est un secteur où durabilité et rentabilité me paraissent actuellement incompatibles. Mais j’espère me tromper. 

On m’invite souvent pour parler d’innovation d’impact et au final je ne sais pas si on est si innovants que cela : on est disruptifs par rapport à un modèle lui-même uberisé ! Certes en refusant le modèle « dérégulé » de nos concurrents, nous avons dû entièrement revoir le modèle d’affaires de la livraison. Cependant traiter correctement ses employés n’a pour moi rien d’innovant, et fort heureusement beaucoup de PME suisses se montrent exemplaires à ce niveau. C’est sans doute au travers de l’exigence d’un projet d’entreprise cohérent que nous innovons. Et nous nous rendons la tâche compliquée en respectant nos valeurs de manière transversale, ce qui ne correspond pas aux logiques de maximisation du profit si largement répandues. 

Propos recueillis par Camille Andres