Portraits d'entrepreneurs

amiable.ch, des procédures de divorce accessibles

By: GENILEM | mai 14, 2024 | 6 min de lecture

Coach et médiateur, Pascal Gemperli a conçu avec amiable.ch un service de divorces à l’amiable pour un coût réduit. Avec le rachat d’un site concurrent, il développe aujourd’hui son offre et passe du statut d’indépendant à celui de chef d’entreprise.

Se quitter en bons termes, et éviter ainsi un divorce coûteux ? Oui c’est le principe de la séparation à l’amiable, qui fait appel à la médiation : finalisée devant un juge, elle évite cependant toutes les étapes — et les coûts — d’une démarche judiciaire.

Pascal Gemperli, coach et médiateur a développé et simplifié cette procédure à l’amiable, la rendant accessible en ligne. Son activité indépendante démarre en 2012, il fonde une SÀRL en 2017. Mais c’est la pandémie qui marque réellement sa transformation digitale. La part de coaching avec les expatrié·es, 50 % du chiffre d’affaires, s’effondre du jour au lendemain. « Il a fallu se réinventer, on avait du temps, mais aussi l’urgence d’évoluer ». Fin 2020, une première version d’amiable.ch est en ligne et trouve son public : elle propose une formule de séparation à l’amiable pour 530 francs tout compris.

Nouvelle étape en 2022, avec la mise en ligne d’un calculateur automatisé de pension alimentaire. « Cette solution n’existe pas en Suisse. Des calculateurs adaptés aux divorces juridiques existent, comprenant une série de détails — tous contestables ensuite devant le juge. Nous proposons une formule simplifiée, mais tout de même valable juridiquement, en cas de séparation à l’amiable. » Un outil stratégique, tant la dimension financière est importante lors des séparations.

2024 marque une nouvelle étape avec le rachat du concurrent easydivorce.ch, et la structuration de l’offre, ainsi qu’une communication repensée via des tutoriels vidéo, pour répondre aux questions les plus fréquentes des clients. Les deux plateformes se positionneront différemment et continueront à évoluer en parallèle. Aujourd’hui, amiable.ch est actif sur l’ensemble de la Suisse, elle propose trois formules de divorces ou séparations, avec des temps variés de conseil et d’accompagnement, le tout en français, anglais et en allemand. Elle compte deux employé·es, et huit collaborateur·rices en mandat, l’équivalent de trois équivalents temps pleins. Chaque jour de nouveaux utilisateur·rices découvrent la plateforme, dont une partie se convertit ensuite en client·es. Pascal Gemperli suit aujourd’hui un CAS spécialisé dans les « Legaltech » à la haute école de l’économie de Zurich et espère encore améliorer les services proposés à ses client·es dans les mois et les années à venir.

Khaoula El Idrissi Gemperli et Pascal Gemperli, associé·es de amiable.ch et easyDivorce.ch

Quelle est l’innovation apportée par amiable.ch dans le domaine de la médiation ?

Pascal Gemperli : Je ne l’ai compris qu’après m’être lancé, mais nous sommes en réalité une startup active dans le domaine que l’on qualifie aujourd’hui de legaltech, qui englobe les technologies au service de la loi. Ce secteur ouvre la voie à de profonds changements sociaux.

D’un côté, les professions juridiques font face à des procédures devenues plus techniques et complexes. Il faut fournir une quantité accrue de documents, le seul moyen d’y faire face sans faire face à des coûts qui explosent est d’automatiser le processus, c’est ce que propose notre plateforme, qui permet à notre structure de réduire le temps passé à saisir des informations, sans quoi nous ne serions pas rentables.

L’autre trame de fond c’est l’accès à la justice. Les frais pour un avocat sont extrêmement élevés, et beaucoup de personnes n’ont tout simplement pas accès à ce service. Une démarche à l’amiable auprès d’un médiateur n’implique pour l’institution judiciaire que 20 minutes d’audience et des relectures des documents envoyés. Dans tous les milieux, la prise de conscience que cette solution simplifiée — avec peut-être l’aide d’un notaire ou d’une fiduciaire sur un point précis, peut être gagnante. Enfin, l’approche à l’amiable permet de garder une certaine dignité et de préserver les relations, contrairement à la bataille judiciaire.

Quel intérêt d’un coaching avec GENILEM, alors que vous êtes déjà à votre compte depuis 2012 ?

Avant, j’avais une démarche plus proche d’une profession libérale ou d’un indépendant : je facturais à l’heure. La plateforme amiable.ch développée en 2020 a transformé la nature entrepreneuriale de mon projet. Je fais appel à des prestataires mandatés. Il a fallu des idées, du soutien. Le rachat d’easydivorce.ch change aussi la donne : nous avons une dizaine de personnes en mandat à gérer, le nombre de dossiers augmente, notre travail financier et comptable doit être approfondi. Combien nous coûte l’acquisition d’un client ? Je ne m’étais jamais posé la question auparavant. GENILEM nous accompagne dans ce passage, avec le coaching, mais aussi des formations internes, des ateliers d’accompagnement, des conseils d’administration fictifs. Ils nous challengent, nous permettent de mettre en place des chiffres et indicateurs clés inexistants quand on est à son compte.

À quoi faire attention lorsqu’on rachète un concurrent?

Une précision : notre situation est particulière, je connais et j’apprécie le patron de la plateforme que nous avons rachetée depuis déjà des années, nous fréquentions le même cercle entrepreneurial, le BNI, on se conseillait déjà l’un l’autre en partie : tout cela aide. L’opération de rachat a beaucoup fonctionné sur la confiance, nous nous sommes échangés des documents clés avant même la signature de l’accord. Easydivorce.ch avait un outil pour automatiser la gestion des documents, nous avions développé un logiciel pour celle des calculs, nous étions donc très complémentaires.

Si le but est de fusionner des outils, il faut s’assurer que les technologies utilisées par chacun soient compatibles — et s’attendre à ce que cela ne fonctionne pas comme prévu.

On peut passer beaucoup de temps au préalable à faire de la due diligence — ce que nous n’avons pas fait dans tous les détails. L’essentiel reste de se mettre d’accord sur un prix, et d’anticiper les points qui peuvent poser problème ensuite. Étant donnée la confiance entre nous, je savais qu’il serait là, même une fois le contrat signé. Se dire aussi qu’il y a plusieurs manières de parvenir à un accord. Dans notre cas, le patron de la structure rachetée possède aussi une entreprise informatique : il nous offre des heures de développement, intégrées dans le prix d’achat. Pour nous ces heures de développement informatique sont indispensables et très précieuses, pour lui ce n’est pas quelque chose de très coûteux, mais ainsi les deux parties sont satisfaites. Autres aspects importants : veiller à ce que le responsable de la structure acquise ne parte pas du jour au lendemain, que la transmission se fasse sereinement. Et anticiper la charge de travail à absorber ensuite à tous niveaux. Enfin, faire prendre conscience aux équipes que la nature de leurs tâches va peut-être changer. Dans mon cas, je suis davantage dans le développement et les relations, et moins dans les dossiers en eux-mêmes.

Quelles sont vos perspectives de développement ? On pense bien sûr à l’IA.

Nous avons encore de très nombreuses marges d’évolution et d’amélioration, notamment dans l’automatisation. Tout l’enjeu pour nous est de garder notre âme, qui est le travail de médiation, l’approche personnalisée. Cela peut paraître en contradiction avec l’automatisme. En réalité, cela permet plutôt de consacrer plus de temps aux situations et aux cas qui en ont besoin, donc de proposer des offres mieux adaptées aux besoins.

Pour ce qui est de l’IA, nous travaillons avec chatGPT, dans sa version payante. Nous avons notre chat interne, alimenté avec nos connaissances et notre expérience, mais juridiquement, nous ne prenons aucun avis issu de l’IA, aucune production quelconque sans l’avoir vérifiée. Pour le moment, l’automatisation nous permet de gagner du temps dans les formulaires à remplir : une donnée saisie une fois peut être reprise sur une série de documents. Mais pour ce qui est de la rédaction, l’IA n’est pas encore d’une grande aide, car dans le domaine juridique, nous cherchons la stabilité, la continuité, la cohérence, soit obtenir tout le temps la même réponse. Or, l’IA n’est pas encore au point de proposer des réponses toujours identiques sur lesquelles s’appuyer.

Quelle place prend la durabilité dans votre activité ?

Nous essayons d’être corrects dans nos rétributions salariales : la personne qui vient pour un mandat une fois par semaine est mieux payée au prorata chez nous que dans un cabinet d’avocat.

Je réfléchis aussi à développer une compensation CO2 pour les utilisateurs de notre site avec Myclimate. Je pense que c’est important par principe, en tant qu’entreprise, d’avoir une responsabilité sociale et écologique, même si on n’a pas une empreinte carbone gigantesque. À titre personnel j’ai des convictions et des engagements politiques dans l’écologie (Pascal Gemperli est engagé chez les Verts depuis 2006, et actuellement élu local). Pour moi la conscientisation se passe à tous les niveaux : j’ai par exemple refusé qu’on prenne une machine à cafés à capsules, chaque geste compte. Enfin, sur le plan social, nous permettons grâce à nos offres à des personnes qui n’ont pas accès à la justice d’y avoir recours — l’assistance judiciaire existe dans notre pays, mais elle demande parfois de s’endetter sur des années. Je voudrais d’ailleurs aller plus loin en ce sens et proposer une journée annuelle de conseil gratuit — nous y réfléchissons.

Propos recueillis par Camille Andres