Uzufly démocratise les projets d’urbanisme
Née en 2020, cette startup à la croissance solide a développé un outil de visualisation 3D qui permet aux pros, aux administrations et aux particuliers de saisir l’impact d’un projet architectural. Elle ne cache pas ses ambitions mondiales.
Après avoir travaillé en Grande-Bretagne dans les relevés topographiques par drones, Romain Kirchhoff, ingénieur diplômé en management de la technologie et génie civil à l’EPFL rentre en Suisse avec une grande idée. Il veut développer des outils 3D pour le marché des infrastructures. Cependant, après plusieurs contacts avec de grands groupes actifs dans les infrastructures routières et énergétiques, les discussions ne mènent nulle part. Le marché suisse n’est pas aussi réceptif que le marché anglais.
En revanche, au contact des communes et des cantons, le jeune homme découvre des besoins qu’il n’avait pas soupçonnés. Les entités publiques doivent communiquer au sujet de leurs projets de développement urbains avec la population, elles souhaitent donc des modélisations de ville en 3D qui peuvent intégrer des projets architecturaux futurs. De plus, les corps de métier techniques (architectes, ingénieur·es, urbanistes) pourraient eux-aussi bénéficier de ces outils 3D pour conceptualiser leur projet sur une base très précise du terrain existant.
Romain Kirchhoff fonde Uzufly en octobre 2020 avec une ambition : créer un outil qui permette aux décisionnaires de se projeter dans le futur, aussi faciliter le travail des urbanistes, ingénieur·es et architectes. Après quelques discussions avec de potentiels clients, Romain accepte un premier mandat « sans trop savoir comment j’allais le réaliser », concède-t-il aujourd’hui.
Mais ensuite, tout va très vite : sans cofondateur, il recrute un stagiaire de l’EPFL qu’il forme pour développer l’outil sur le plan technique – d’autres recrues suivront. Ces visualisations techniques qui demandent « peu de réflexion et font appel à l’émotion » sont très prisées. Les commandes s’accélèrent. L’entreprise grandit uniquement grâce aux revenus générés par ses clients. En 2021, le chiffre d’affaires est de 370 000 francs, en 2022, son fondateur espère l’amener à deux millions de francs, voire plus. À terme, ce n’est pas seulement des mandats ponctuels qu’il souhaite réaliser, mais la création d’une plateforme proposant des visualisations 3D pour les zones constructibles du monde entier. Ce « Google Earth sous stéroïdes » est actuellement en développement chez Uzufly et trouve déjà des clients de l’Asie aux Etats-Unis. Entretien avec Romain Kirchhoff, fondateur.
En quoi votre technologie de visualisation 3D est-elle innovante ?
Romain Kirchhoff :Aujourd’hui, tout le monde peut faire voler des drones et développer des visualisations 3D avec des outils de photogrammétrie accessibles. Le problème c’est la différence entre ces modèles digitaux simples et les besoins réels du client, qui souvent n’y trouve pas d’utilité. Nos modèles 3D sont utilisables par différents clients parce qu’ils combinent trois technologies : d’abord le géospatial, c’est-à-dire la localisation GPS et le géoréférencement par satellite. Ensuite l’architecture et l’ingénierie ; tous nos plans et designs sont normés BIM, outil utilisé par la moitié des bureaux d’architectes de Suisse. Enfin les technologies dérivées des jeux vidéo qui nous permettent de visualiser d’énormes volumes de données de manière pratique et immersive. Notre force est donc de développer à large échelle un outil qui associe les forces de trois industries différentes. Notre seul compétiteur est une entreprise basée en Australie. En Europe, nous sommes les seuls à proposer ce type de produit.
Vous avez recruté sept personnes en un an, comment avez-vous procédé pour faire ces choix ?
À travers LinkedIn, je me suis créé un réseau afin de découvrir les vrais talents dans les domaines qui m’intéressaient et j’ai ensuite pris contact avec eux. Pour moi, le recrutement est principalement lié à la personne et sa motivation. C’est toujours difficile pour une startup car on veut des talents mais on a peu de moyen pour offrir des salaires compétitifs. Il faut donc trouver des personnes qui partagent les mêmes valeurs et la même vision de la société, et leur offrir des perspectives de croissance qui leur permettront très vite d’avoir des responsabilités et un impact sur la société et notre cible. Pour participer au lancement d’une startup, la passion et la capacité d’apprendre sont plus importantes que les études réalisées et l’expérience acquise.
Vous êtes autofinancé, comment avez-vous réussi à convaincre autant de clients ?
Ce que j’ai appris, c’est qu’en tant que fondateur, je suis la personne la plus apte à vendre car je connais le produit et sa vision de A à Z. On a eu peu de cours de vente à l’Uni, pourtant, je suis arrivé chez les clients, j’ai appris à écouter leurs besoins et à y répondre. Les clients ne sont pas préoccupés par ce que l’on fait dans les détails, mais veulent savoir comment on va leur faciliter la vie, réduire leurs coûts, leur temps ou comment on améliore leur image. Au début, je vendais seulement des relevés topographiques, mais j’ai su comprendre que ce qui répondait à la demande du marché c’était un outil de visualisation pour la prise de décision et la communication – un outil qui permet de représenter le volume, l’emplacement et l’utilité précise d’un bâtiment. J’ai donc développé cet outil visuel pour répondre à ce besoin spécifique des communes et cantons.
Vous avez beaucoup appris par vous-même, quelle aide vous apporte GENILEM ?
Collaborer avec GENILEM est intéressant pour nous car ils ont une vue holistique d’un business. Ils sont pragmatiques : quel est le besoin du marché ? Quelle est notre solution ? Notre solution est-elle viable ? Comment peut-on recruter ? Etc. Se poser ce type de questions nous a été très utile. Tout comme cela m’a aidé d’avoir un tableau de bord avec les points importants à surveiller : marketing, ventes, RH, etc. Enfin, au quotidien, je peux toujours aller vers GENILEM quand une décision importante s’amorce pour l’entreprise, j’y trouve toujours un interlocuteur disponible.
Comment voyez-vous votre développement : une croissance organique, maîtrisée, ou une course de vitesse ?
Je suis quelqu’un qui voit grand, je suis très persévérant, dans tout ce que je fais : matche de boxe, pilotage d’avion, marathons… Ma vision est vraiment de créer un « Google Earth sous stéroïdes » donc de passer de la prestation de service à la modélisation globale de grandes villes, apportant des données pour tous les corps de métier, à l’échelle du monde entier. Ce qui suppose une croissance exponentielle. Nous avons des business angels, des VCs qui nous suivent. En revanche, l’idée n’est pas de lever de l’argent pour le principe de lever de l’argent. Nous le ferons pour accélérer la croissance. Mais pour le moment, nous sommes en train de développer notre outil et de tester notre ‘minimum viable product’ auprès de différentes entreprises. Et nous constatons qu’il reste un grand travail d’éducation du marché à faire, une dimension qu’il ne faut pas sous-estimer. Ensuite, nous pourrons toujours réimaginer notre business model (sous forme de franchise ou autre, par exemple).
Propos recueillis par Camille Andres