Time Designers, des bijoux de science
Portée par deux ingénieurs, cette startup de haute horlogerie conçoit des montres de luxe intégrant des phénomènes physiques spectaculaires. Leur première création sera composée de fluides. Une démarche alliant science et art, dans un équilibre délicat.
Spirituelle, méditative, tout en étant une merveille d’ingénierie. Voilà la montre conçue par Pierre Coutaz et Guillaume Bonneau. Elle ne comporte pas de trotteuse, « parce ce qu’il y a quelque chose d’élégant à ne pas courir après chaque seconde dans l’existence, à porter une montre qui nous fait nous approprier notre quotidien avec sérénité ». Ce « bijou » pour ses fondateurs se veut « un objet d’émerveillement. »
L’heure est donnée à l’aide d’un fluide qui se déplace en trois dimensions. Ses mouvements reproduisent des dessins réalisés par des artistes. Imaginez un tableau de peintre, en perpétuelle création ! La vision des entrepreneurs est d’ouvrir la discipline horlogère aux sciences et aux arts. L’architecture de montre automatique développée par Time Designers, a pour but de « mettre en scène un spectacle au poignet des collectionneurs», selon ses fondateurs.
Depuis 2021, les deux ingénieurs en nanotechnologie ont collaboré avec une série de laboratoires de l’EPFL, de l’ETH et de l’Université de Fribourg pour démontrer la faisabilité de leur innovation. « Le système a été optimisé, avec un équilibre entre démarche artistique et physique, afin que l’objet soit éternel. Cela a abouti au dépôt d’un brevet », explique Pierre Coutaz.
En chemin, ils ont gagné une série de concours entrepreneuriaux (Premier prix au concours START Lausanne en 2022, Premier prix au Concours Innovation by Design de l’ECAL en 2022, récompense au Luxury innovation Summit, soutien de Watch Academy, lauréat du concours de l’IMD, de la fondation Inartis…). Et levé des fonds : 400’000 francs « non dilutifs réunis en pré-seed » dont 200’000 ont déjà été réinvestis dans la R&D.
L’année 2024 doit marquer une nouvelle étape, avec une levée de fonds pour investir dans la création de la marque, et à la création d’un premier prototype à l’échelle. « Nous avons déjà réalisé quatre prototypes de grande taille, il est maintenant l’heure d’assembler toute la magie que nous avons développé dans une pièce qui tienne sur le poignet », assure Pierre Coutaz. Destiné au segment de l’hyperluxe, le garde-temps devrait être mis à la vente pour un tarif de l’ordre de plusieurs dizaines des milliers de francs. Entretien avec Pierre Coutaz, son co-concepteur et CEO de Time Designers.
Où exactement réside votre innovation ?
Pierre Coutaz : Il a fallu deux ans pour démontrer la faisabilité technique de notre projet, beaucoup de dimensions qui le composent sortent du lot. Le brevet qu’on a déposé protège d’ailleurs l’ensemble du concept, un assemblage de 1500 composants qui ont chacun été conçus par nos soins, en descendant parfois à des échelles à peine plus grandes que l’atome ! Les technologies d’avant-garde qu’il met en œuvre viennent principalement du spatial.
Par ailleurs, nos montres donnent à voir le temps au travers le prisme de la poésie. A mi-chemin entre la recherche fondamentale et l’art, cet objet est un condensé de savoir. Nous aimerions qu’il vienne évoquer la même puissance que l’oeuvre La persistance de la mémoire (Salvador Dali 1931). Pour toutes ces raisons, nous apportons une attention extraordinaire au design, qui prend une part aussi importante que les sciences que nous développons. C’est d’ailleurs l’une des raisons du succès de notre entreprise, apporter de nouvelles opportunités techniques à des designers et des artistes, nous permet d’avoir beaucoup d’enthousiasme de leur part et d’avoir l’attention de quelques grands noms qui veulent travailler avec nous.
Quel a été le soutien de GENILEM tout au long de votre aventure ?
GENILEM nous apporte un support émotionnel et moral. Avoir des gens qui vous suivent et prennent des nouvelles tout au long d’un tel processus est décisif, en particulier dans des moments stratégiques. Ils nous font bénéficier de leur expérience d’entrepreneurs et nous donnent accès à leur réseau.
Au long de cette aventure entrepreneuriale, quelle sont les difficultés qui vous ont marqués ?
On est tous les deux des grands enthousiastes avec mon associé : on vibre de passion pour ce qu’on fait, on est motivé en se levant le matin et on aime travailler tard ! Mais l’entrepreneuriat met facilement à l’épreuve votre résilience. Le tout est de garder la tête froide, dans les succès comme dans les moments de doute. Pour cela, j’ai deux solutions. Je lis le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils. Si j’ai plus de temps, je vais faire de l’escalade. Ça me remet les idées en place. Aussi, nous avons la chance d’avoir une excellente communication avec mon associé.
Quel regard portez-vous sur la durabilité à partir de votre projet ?
Dans l’espace, un satellite composé d’électronique peut rester en place des décennies. Et nos smartphones le pourraient aussi. Pourtant, leur durée de vie est de quatre ans en moyenne. C’est un scandale ! Ce sont les mises à jour qui provoquent l’obsolescence électronique, et notre montre s’en passera.
Par ailleurs, nous misons sur la « mise en scène » de cet électronique qui n’a jamais été travaillée par le passé, sur le plan esthétique, pour en faire un objet qu’on ait envie de chérir. Nous trouvons essentiel pour garder un rapport émerveillé à l’innovation de savoir mettre en scène chacun de nos composants, y compris le plus infinitésimal, pour en souligner la valeur.
Enfin, en termes de quantités de ressources utilisées, comme nous adressons les marchés de l’ultra-luxe, nous visons de très petites quantités et la part de matériaux précieux employés est dérisoire dans nos créations. Pour autant, nous les chercherons dans des matériaux recyclés et locaux.
Propos recueillis par Camille Andres