Robin des Fermes redonne le pouvoir aux producteurs locaux
Née en 2020, cette startup se donne la mission de mieux relier producteurs locaux et consommateurs, sans léser les premiers. Elle propose aujourd’hui deux places de marché ultra-locales, et prévoit de s’étendre en Suisse romande.
Comment connecter simplement des producteurs d’aliments locaux à leurs consommateur·rices ? Une série de solutions existent déjà, mais toutes ont des défauts, notamment la rémunération des producteurs. C’est sur ce problème que se penche Tanguy Ecoffey dès 2018. La motivation de ce jeune entrepreneur est « un profond sentiment d’injustice », face aux marges réalisées par les intermédiaires de la distribution. Il veut fonder une entreprise « à mission », qui paye le prix juste, et offre un service pratique et rapide au consommateur. Sans expérience dans le domaine de l’agriculture, mais diplômé en tant qu’économiste d’entreprise et confiant dans l’entrepreneuriat à mission, Tanguy Ecoffey se lance dans l’aventure. Cinq ans de réflexion et de développement plus tard, un business model semble avoir émergé.
A sa création en 2020, Robin des Fermes imagine un outil digital B to C, reliant chaque producteur à ses client·es : « mais on a réalisé que cela n’était pas assez simple pour le client final ». Seconde étape, l’élaboration de groupements de producteurs, gérés par l’un d’entre eux contre rémunération. Une solution déjà plus intéressante, mais qui met en lumière une autre contrainte : les frais de transport. « Les coûts de livraison sont clés. L’enjeu est de pouvoir mutualiser ces déplacements ». Robin des Fermes rencontre alors l’entreprise lausannoise GreenFuture et collabore pour la mise en place d’un véritable écosystème logistique en ligne destiné aux producteurs.
Son projet est financé grâce à une série de fonds privés et de soutiens à l’entrepreneuriat : en 2021, 40’000 francs sont levés après un crowdfunding, des entreprises privés apportent leur soutien, une bourse de la FIT (Digital Grant) complète la tournée.
En 2022, l’entreprise bénéficie d’un financement de la Promotion économique vaudoise, dans le cadre d’un programme écologique. Le cahier des charges est simple : Robin des Fermes doit s’allier avec des entreprises locales pour développer un outil de gestion centralisé (SaaS) en y connectant une place de marché B to B.
La jeune startup fonde au final deux places de marché. La première, B to C réunit des producteurs et artisan·es suisses sélectionné·es sur des critères éthiques et écologiques, dans un rayon de 40 kilomètres. C’est la Tanière du Jorat, née courant 2022, qui compte déjà 150 client·es. La seconde, approv.ch procède des mêmes principes mais sur une logique B to B, destinée aux épiceries et restaurants locaux.
Récit d’une aventure d’apprentissage continu.
Comment fonctionne aujourd’hui votre solution B to C ?
Tanguy Ecoffey : Le client passe sa commande en ligne, ou souscrit son abonnement. Elle arrive chez le groupement de producteurs qui prépare les commandes et les ramène à l’office de Poste correspondant, qui ensuite les livre chez les clients, et récupère les contenants vides le lendemain. Robin des Fermes met en place la plateforme de vente et les outils permettant toute cette gestion, et accompagne les producteurs dans les acquisitions de clients, le service après-vente.
Pour les consommateurs, nous apportons une grande flexibilité dans le concept déjà bien installé des paniers (gérable en ligne, 4 formats disponibles, possibilité de stopper ou mettre en pause son abonnement, de changer la composition via mail ou Whatsapp…). Pour le producteur, ce sont des frais réduits, l’accès transparent à une clientèle locale (les adresses leur sont communiquées), la possibilité de continuer à commercialiser par ailleurs, une logistique de livraison simplifiée, la garantie de rester sur son métier de base : nous nous chargeons du marketing, du SAV, de la relation clients…
Qu’est-ce qui vous a guidé dans l’élaboration de votre modèle de vente en ligne ?
Ecouter les retours des producteurs, être à leurs côtés. On a rapidement vu que le fait de travailler en regroupement leur apportait un gain de temps et leur permettait même de créer des emplois : la Tanière du Jorat a embauché une personne pour gérer la préparation des paniers. On a aussi écouté les consommateurs : le système du panier de légumes répond à des attentes, il pouvait être conservé. Aujourd’hui la Tanière du Jorat compte 150 abonnements à des paniers. Enfin nous avons pris acte d’un changement sociétal : la livraison à domicile est aussi généralisée. Comment la proposer avec peu d’investissements ? Nous avons choisi de nous associer avec un acteur déjà existant qui effectue des tournées tous les jours : La Poste.
Que vous a apporté GENILEM dans ce chemin de réflexion complexe ?
La communauté GENILEM est d’une grande et puissante bienveillance : en faire partie nous ouvre des portes et nous permet d’évoluer au niveau privé et professionnel. Le fait d’échanger régulièrement avec mon coach et mon « challenge board » me motive énormément et me donne de bon coups de boost.
Comment se rémunère votre entreprise, et comment les producteurs s’en sortent-ils ?
Contrairement à d’autres systèmes de distribution qui achètent, stockent et revendent la marchandise, nous ne sommes que des prestataires de services. Nous prenons une commission de 10 à 19% mais elle est évolutive. Plus le producteur vend de produits avec nous, plus il va bénéficier d’une commission intéressante.
Le producteur est rémunéré à chaque étape. Le coût de livraison d’un panier est de 5 francs : 2,90 francs sont à la charge du consommateur, et 2,10 francs à la charge du producteur.
Notre but est que chaque ‘Tanière’ ou groupement de producteurs puisse grandir sereinement et devenir indépendant à terme. Si demain Robin des Fermes fait faillite ou triple sa marge, les producteurs seront en grande partie indépendants et pourront continuer à écouler leurs produits.
Quelles sont vos perspectives de développement ?
Les clients actuels ont un panier moyen plutôt bas. Seuls 10% d’entre eux complètent leur commande habituelle avec des produits en plus (viandes, produits laitiers), notre but est d’arriver à 50% d’ici la fin de l’année. Par ailleurs nous aimerions développer notre premier groupement de producteurs : la Tanière du Jorat a 150 clients mais couvre 200 000 foyers potentiels. En juin, nous ouvrirons une nouvelle tanière à Boudry et Cortaillod (Neuchâtel). D’ici fin 2023, nous aimerions en ouvrir cinq autres en Suisse romande, et démarrer les négociations pour cinq suivantes. Nous envisageons une levée de fonds pour soutenir cette croissance d’ici à la fin de l’année, nous ne savons pas encore si cela impliquera des investissements classiques ou une tokenisation.
Une tokenisation permettrait de faire participer notre communauté, c’est elle qui nous a amené jusqu’ici et l’idée qu’elle puisse devenir actionnaire de Robin des Fermes me parait être intéressante pour tout le monde.
Comment intégrez-vous les défis écologiques dans le développement de votre entreprise ?
Cette réflexion nous accompagne depuis le premier jour. On croit beaucoup à la livraison à domicile. Mais comment faire pour en limiter l’impact ? On s’est dit que travailler avec La Poste dont la flotte est souvent électrique était un premier pas. Pour ce qui est de nos outils informatiques, mesurer l’impact CO2 n’est pas encore au programme mais chaque nouvelle étape de développement entraîne une réflexion écologique.
Propos recueillis par Camille Andres