KimboCare: Faciliter l’accès aux soins de qualité
La startup connecte des personnes ayant des soucis de santé et des donateurs qui financent des prestations en la matière. Une mission d’impact qui demande un positionnement pointu.
Pour Franck et Murielle Tiambo, frères et sœurs suisses et issus de la diaspora camerounaise, tout démarre en 2019, avec un constat : la difficulté de financer des soins de santé à des proches vivant au Cameroun. Ces deux jeunes actifs ont déjà des carrières brillantes et remplies. Diplômé en gestion des risques à l’Ecole Centrale de Lyon, Franck a travaillé pour un cabinet de conseil international. Après un master en systèmes de communication à l’EPFL, Murielle a suivi un parcours similaire dans le conseil stratégique. Mais la fratrie a aussi le virus de l’entrepreneuriat, transmis par leur mère, Pauline, brillante cheffe d’entreprise.
Au moyen de fonds privés, Franck et Murielle fondent alors KimboCare, plateforme de santé numérique permettant à quiconque (entreprises ou particuliers) d’acheter des soins médicaux pour des personnes qui n’en ont pas les moyens. Le business-model repose sur une commission perçue par KimboCare lors du don d’un particulier ou d’une entreprise. Et toute la vision de l’entreprise repose sur une conviction pragmatique: la santé est indispensable au développement personnel mais aussi économique, et l’aide publique ne suffit pas à garantir une santé de qualité pour toutes et tous.
Les premiers bénéficiaires se trouvent en Afrique (Cameroun et Côte d’Ivoire). Après une année dédiée à améliorer l’outil, et valider le concept auprès de plusieurs populations, KimboCare se développe de manière organique depuis 2021, financée par des investisseurs privés.
Une vingtaine de structures médicales sont partenaires – sélectionnées avec soin par KimboCare qui souhaite une expérience irréprochable pour ses patient·es, et privilégie la qualité à la quantité. Près d’un millier de personnes (patient·es, donateur·rices, soignant·es) ont déjà utilisé l’outil dont plusieurs centaines de patients et patientes. Les premiers résultats d’impact sont encourageants: les donateur·rices n’hésitent pas à réutiliser le service, les bénéficiaires – surtout des femmes et des enfants – évaluent la qualité de leur prise en charge à 8/10 en moyenne. L’outil est aujourd’hui principalement disponible dans des zones urbaines du Cameroun et de Côte-d’Ivoire et nécessite pour l’utilisateur·rice d’un simple téléphone portable. La jeune entreprise basée à l’EPFL Innovation Park souhaite désormais s’étendre au Kenya, situé dans une autre zone culturelle, l’Afrique de l’Est, doté d’un bassin de population de plus de 100 millions d’habitants et de populations très réceptives aux innovations technologiques. L’objectif de KimboCare est d’atteindre la rentabilité d’ici 2025, et devenir une solution de santé globale.
La santé est un droit fondamental, pourquoi en avoir fait un business?
Franck Tiambo: Bien évidemment, la santé est l’un des droits humains fondamentaux, mais il est clair aussi que ce droit n’est pas effectif dans certaines communautés. Il fallait trouver une solution. Avoir des soins de santé de qualité est un luxe qui n’est pas accessible aujourd’hui aux personnes à revenus modestes alors qu’elle est indispensable à leur autonomie. Notre solution apporte de la transparence quant à la prise en charge d’un patient dans une structure médicale de qualité, ce qui apporte de la confiance aux différents acteurs de l’écosystème. Donateur, structure médicale et patient s’y retrouvent : le premier car il est sûr de la manière dont son argent est employé, le second car il est sûr d’être payé, le troisième car il est sûr d’être soigné.
Comment marche KimboCare, est-ce que l’outil permet de respecter le secret médical?
La plateforme en ligne connecte patients et donateurs (individus ou entreprises), et des structures médicales de qualité sélectionnées par KimboCare au cours d’un processus rigoureux.
On permet au donateur d’acheter des prestations médicales pour un patient, sous forme de crédits de santé. Le donateur va sur la plateforme et une fois que son achat est réalisé, le patient reçoit une notification, il ne perçoit jamais d’argent directement, et il peut aller dans la structure partenaire de son choix pour obtenir la prestation.
Le secret médical n’est pas trahi car il s’agit de prestations généralistes pour démarrer (check-up etc.) et le patient garde le contrôle sur toutes les données médicales. Une fois que le patient entre dans le système KimboCare, il reste propriétaire de ses données et dispose de trois niveaux de consentement. Le niveau standard permet une simple traçabilité pour savoir si le patient est pris en charge à la pharmacie ou à l’hôpital. Le niveau standard ne permet pas l’échange d’informations médicales. Par ailleurs, notre plateforme a été construite sur des principes forts de sécurité dès l’origine, et l’entreprise participe à plusieurs programmes de Microsoft afin de renforcer la protection des données.
Votre entreprise est basée en Suisse, l’activité se fait en Afrique, est-ce difficile de gérer une startup à distance?
Pour clarifier, c’est l’activité médicale qui se fait en Afrique. Une majeure partie de l’activité technologique et commerciale est gérée depuis la Suisse. Cela étant dit, c’est dur de gérer une startup tout court (rires)! Pour revenir à l’activité médicale, on s’appuie sur des structures qui jouissent d’une excellente réputation localement. Et nous avons des responsables d’opérations, basés sur place qui sont nos yeux et oreilles sur le terrain. Surtout, nous avons des données en temps réel quant à l’activité dans notre réseau médical qui permettent de prendre des décisions rapides. Par exemple, au démarrage de la pandémie, les structures médicales ont été très sollicitées. Un jour, nous avons constaté que dans une clinique, une dizaine de patients attendaient de pouvoir rencontrer leur généraliste, alors que les spécialistes avaient peu d’activité. Nous avons appelé le directeur de la clinique qui a pu mieux planifier ses effectifs.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour lever des fonds?
Trouver des ‘early adopters’ pour les donateurs était difficile. Nous pensions que cela aurait été plus facile en raison de notre rôle dans la communauté africaine ici, en Suisse. Nous sommes très impliqués dans les activités communautaires et pour les communautés expatriées, ces cercles où les gens se retrouvent et partagent réussites et joies sont importants. On met les gens en réseau, on trouve des postes de travail, des stages, etc.
En être un membre actif comme je le suis, crée et renforce la confiance et la crédibilité. Mais cela n’a pas suffi au départ: les donateurs et investisseurs privés nous ont d’abord laissé faire nos preuves. Après 18 mois, une fois notre ‘vallée de la mort’ traversée, et nos phases-pilotes réussies, ils sont désormais prêts à apporter leur pierre à l’édifice.
Comment communiquer lorsqu’on est une entreprise à impact?
On nous confond souvent avec une ONG. La première difficulté pour nous, c’est de bien communiquer là-dessus. Nous insistons beaucoup sur le fait qu’aujourd’hui il n’y a pas besoin de faire de choix entre impact et retour sur investissement. Des études ont même montré que l’impact apporte un profit plus durable.
La deuxième difficulté c’est de s’adresser à une population aux revenus modestes au moyen de la technologie, alors qu’ils vivent parfois une fracture technologique. Nous avons pris cela en compte dès la conception de notre solution, en décidant par exemple de ne pas concevoir d’applications pour les patients : il leur faut juste pouvoir recevoir des SMS.
Enfin, notre plateforme nous apporte des données quasiment en temps réel, cela nous permet d’évaluer et de communiquer nos critères d’impact rapidement et de manière précise.
En quoi GENILEM vous a aidés ?
Le processus de sélection a été une bonne chose puisqu’il a permis à des experts externes de valider notre solution. Et puis l’écosystème en lui-même est enrichissant: nous échangeons avec d’autres startups soutenues par GENILEM sur nos défis, nos difficultés, nos succès. Dernièrement KimboCare participait au Forum EPFL pour rechercher des développeurs. Nous avons croisé une autre startup soutenue par GENILEM, qui cherchait aussi ces profils mais dans un domaine d’activité très différent. Nous nous sommes entraidés: quand des étudiants passionnés de santé et d’impact arrivaient au stand de cette startup, ils les envoyaient chez nous et vice-versa!
Propos recueillis par Camille Andres