Fair&square repense le lève-personnes
L’outil conçu par deux alumni de la Haute Ecole Arc de Neuchâtel a d’abord été pensé pour les personnes seules à domiciles. Mais il a rapidement séduit les institutions médicales.
Pour Stéphanie Jacot et Amir Elhajhasan, tout commence lors d’une conférence spécialisée où sont évoquése les outils pour relever des personnes handicapées après une chute. Dans le public, une femme âgée de 85 ans sollicite l’audience pour savoir si un équivalent existe pour les personnes âgées à domicile. Devant l’absence de solution, les deux étudiant·es, élèves de la même classe d’ingénierie à la haute école Arc de Neuchâtel, décident de se saisir du sujet.
Ils développent un prototype de chaise de relevage pour leur travail de bachelor. Très avancé, celui-ci compte non seulement une conception longuement réfléchie – et non une simple visualisation 3D -, mais jouit également de l’expertise de l’association suisse romande des maladies neuromusculaires, qui a accepté de les coacher. Dès le départ, les deux créateur·rices prêtent un soin particulier au design et à l’ergonomie de l’outil. « En réalisant des entretiens avec des seniors, on a réalisé qu’ils détestent les objets qui leur rappellent l’hôpital et qu’il recherchent le plus d’autonomie possible », pointe Stéphanie Jacot.
Baptisée Rise Up, leur chaise de relevage comporte ainsi une assise souple qui atteint le ras du sol et peut être relevée jusqu’à 70 cm de haut grâce à une commande que les utilisateurs comprennent intuitivement.
En 2019, Stéphanie Jacot est embauchée à 100% dans l’entreprise qu’ils/elles cofondent: fair&square. Amir Elhajhasan, lui, entame un master à Innokick HES-SO pour perfectionner le projet. L’occasion notamment d’affiner le business plan, le marché, le public cible, …
Un tournant fondamental survient : initialement pensé pour les personnes à domicile, l’objet est testé dans des établissements médicaux et obtient des retours extrêmement favorables du personnel soignant.
« Les outils traditionnels pour relever des patient·es qui chutent sont souvent encombrants et peu pratiques. Très souvent les aides-soignant·es procèdent finalement sans outil de manutention, à la seule force de leurs bras. Ils/elles se retrouvent ensuite avec des maux de dos qui entraînent un absentéisme chronique, presque 10% du personnel est concerné », explique Stéphanie Jacot.
Les cofondateur·rices approfondissent les discussions en contexte médical et découvrent que Rise Up y offre bien d’autres plus-value : l’outil est peu encombrant, là où chaque mètre carré est cher ; peut permettre de peser des patient·es en intégrant des capteurs ; laisse toute son autonomie à la personne qui peut commander l’objet, là où d’autres systèmes les transportent comme des ‘marchandises’…
En parallèle de ces développements, les levées de fonds s’enchaînent pour la jeune entreprise, qui obtient notamment un financement du Fonds national suisse de la recherche scientifique pour finaliser son dernier prototype. Aujourd’hui basée à l’incubateur TecOrbe, fair&square se prépare à entamer une étude clinique afin de valider son dernier prototype.
L’objectif ? Prouver que son outil offre effectivement une solution plus rapide – et tout aussi sûre – pour relever des patient·es ayant chuté, par rapports aux solutions existantes. Si toutes ces étapes se passent sans encombre, la fabrication, 100% Suisse pour le moment, pourrait démarrer fin 2021, et les premières ventes avoir lieu début 2022. Entretien avec Stéphanie Jacot.
Le domaine médical est souvent difficile à pénétrer pour les startups, en raison de sa complexité. Comment avez-vous procédé ?
Stéphanie Jacot : Effectivement, ce qui est chronophage c’est le fait de se conformer aux règlementations médicales suisses. Pour tout le travail de certification, nous avons eu la chance d’être accompagnés dès le départ par un coach Platinn (plateforme d’innovation de la Suisse occidentale). Il nous a permis de nous orienter et d’avancer rapidement dans ce domaine très technique. Il nous reste désormais à procéder aux tests cliniques.
Quelle a été l’étape la plus complexe, pour vous qui venez tous deux de l’ingénierie ?
Le fait de traiter plusieurs domaines en même temps : il a fallu développer la partie commerciale, alors que notre développement technique n’était pas achevé. Avancer sur la levée de fonds alors que la certification est encore en cours, etc. Tout arrive en même temps quand on développe une startup, les choses ne s’enchaînent pas de manière bien définie. Et on cherche des fonds en continu ! C’est très dur d’avoir une vue d’ensemble.
Vous êtes suivis par plusieurs coaches, pourquoi ?
Chaque coach a son domaine, sur lequel il a une vue globale, ce qui nous permet de voir où l’on avance. GENILEM, par exemple, nous prépare pour les ventes, un aspect qui peut paraître lointain mais qu’il est important d’anticiper dès à présent. Grâce à eux, nous avons eu le courage de contacter de futurs clients, même si le produit n’est pas encore 100% parfait, achevé, certifié. Et quand tous ces domaines spécifiques semblent trop complexes, il nous suffit d’aller voir les utilisateurs, pour retrouver le cœur du projet, savoir ce qui est important pour eux.
Tester votre produit dans des établissements médicaux a permis de découvrir une nouvelle plus-value, comment avez-vous eu vos entrées dans ces lieux parfois fermés ?
Le Covid a été une vraie difficulté, puisque les EMS, hôpitaux, cliniques se sont retrouvés fermés au public durant une longue période. Heureusement, certains contacts personnels nous ont permis de continuer à travailler sur notre prototype durant cette période. Et nous avons aussi rencontré des physio et ergothérapeutes, tout aussi concernés. Dans tous les cas, notre approche a toujours été de demander du feedback, des conseils sur notre projet, pas du tout de placer un produit.
La chaise Rise Up pourrait-elle évoluer jusqu’à se déplacer de manière autonome?
Oui, nous travaillons déjà sur une seconde version entièrement automatisée qui viendrait jusqu’à la personne à terre pour lui permettre de se relever. Mais ici aussi, la certification est un enjeu, puisqu’à domicile, il faut tenir compte de toute une série d’éléments en plus dans l’analyse de risques (escaliers, enfants, animaux de compagnie…).
Pour le moment, la priorité est de lever environ 200’000 francs pour achever la certification médicale du premier modèle et démarrer nos premières ventes en 2022 sur le marché suisse.
Propos recueillis par Camille Andres