CHIP, encourager la livraison de proximité
Lors d’un séjour dans les pays Baltes, Thomas Stenger découvre les casiers connectés. En Suisse, il développe et optimise le concept pour l’étendre aux commerçants locaux, aux échanges entre particuliers. Un nouveau champ des possibles pour la logistique.
Des murs couverts de casiers connectés, couverts des sigles d’opérateurs de colis : Amazon, DHL…. C’est ce que découvre Thomas Stenger lors d’un séjour à Riga (Lettonie) en 2021. Alors chef de projet dans une agence digitale, il rédige en parallèle un travail de bachelor en économie (HEG) sur la question des automates à colis multi-opérateurs – sujet choisi un peu par hasard. Mais confronté aux enjeux de la logistique urbaine, la thématique le passionne.
Et en voyant Riga, « et ces murs de casiers plutôt moches », il comprend qu’il existe une autre perspective de développement pour cette solution en Suisse, plus agile et ouverte, et décide de porter un projet en ce sens : CHIP. Plutôt que de créer « des autoroutes à colis », il imagine une infrastructure ouverte au commerce local, aux artisans, aux particuliers – comme une consigne – ainsi qu’à tous les opérateurs logistiques.
En septembre 2021, Thomas Stenger est pris dans le programme d’incubation des Hautes Ecoles Genevoises -Pulse. Après un an à explorer son projet, construire son business plan, et démarcher des clients potentiels, il se heurte à la frilosité des communes qui hésitent à financer ce projet pilote.
En octobre 2022, c’est finalement la Promotion économique du canton de Genève qui le mandate pour un premier projet de 4 armoires à casiers. Si les deux premiers sont installés dès février 2023, il faudra encore 8 mois pour installer les suivants. L’emplacement constitue un enjeu stratégique : sur un terrain étatique ou privé, proche d’une zone résidentielle, de transports, de commerces locaux…
En août 2023, nouvelle étape : La Poste accepte d’effectuer des livraisons dans ces casiers. Si leur utilisation reste timide les 18 premiers mois, 80% des habitants acceptent et adhèrent à cette solution de livraison de proximité. Ces quatre sites offrent l’occasion à Thomas Stenger de recueillir des retours précieux pour améliorer son concept. Il décide de simplifier le logiciel d’utilisation et de trouver un fournisseur italien, plutôt que suisse, de quoi produire en Europe, avec des matériaux européens, mais de diviser par cinq le coût de fabrication.
Aujourd’hui CHIP est en phase de commercialisation auprès d’autres communes et entreprises romandes. Les casiers actuels sont dotés d’énergie solaire qui garantissent leur autonomie et d’imprimantes, pour permettre l’envoi de colis par les particuliers. A moyen terme, Thomas Stenger souhaiterait développer sa présence dans d’autres villes puis développer un réseau dense sur l’ensemble de la Suisse. Entretien.
Votre innovation consiste notamment à ouvrir la possibilité aux particuliers d’utiliser ces casiers à colis. Comment gérer l’enjeu de sécurité (risque de trafics…) ?
Thomas Stenger : Actuellement, pour accéder au casier, nous procédons à une forme de vérification d’identité en envoyant une lettre à domicile, avec un code pour valider le compte de l’utilisateur, pour éviter toute fraude et usurpation d’identité. Ce procédé n’est évidemment pas possible dans le cas de l’utilisation du casier comme consigne, nous le faisons donc évoluer en intégrant des méthodes de vérification d’identité sur l’app elle-même (scan régulier de carte d’identité par exemple). Cela désincite les utilisations frauduleuses.
Mais à noter que lors de l’envoi de courrier postal, la possibilité de trafic existe aussi ! Et surtout, en matière d’innovation, je crois que lorsqu’un problème n’est pas réel, il ne faut pas l’anticiper, ou du moins ne pas limiter l’innovation en raison de cette hypothèse. C’est lorsque le problème est là qu’il faut le résoudre.
La solution que vous proposez représente presque un service public. Quels sont vos modèles d’affaires ?
Pour le moment, l’utilisation des casiers existants est gratuite car il s’agit d’un projet pilote installé dans l’espace public. A long terme, l’idée serait de facturer les transporteurs – par exemple 1 chf par colis -, dans la mesure où pour eux, la solution des casiers offre une économie d’échelle donc un système de livraison plus économique que de passer dans toutes les boîtes aux lettres. Cela demande un certain volume et une densité de colis.
Une autre solution que j’imagine serait de vendre des casiers à des entreprises, communes et promoteurs immobiliers, ce qui permettrait d’augmenter et de densifier le réseau des casiers et donc d’inciter leur utilisation par les transporteurs. Dans les deux cas, la gratuité sera maintenue pour les utilisateurs ainsi que les commerçants locaux (sauf dans le cas d’une utilisation comme consigne).
Comment vous positionnez-vous face au géant du secteur, La Poste suisse ?
Des initiatives similaires existent dans d’autres cantons (Berne, Bâle, Zurich). CHIP est un acteur qui souhaite optimiser les services de La Poste, l’inciter à évoluer. Avec La Poste, les relations sont bonnes dans la mesure où CHIP constitue un complément utile, et où notre marché (les entreprises, promoteurs immobiliers) n’intéresse pas La Poste. Mais du moment où je me positionne en tant que concurrent, j’ai bien compris que cela ne sera plus le cas. J’y vais donc étape par étape.
Je constate aussi que La Poste a fait évoluer sa stratégie interne. Mon objectif n’est pas d’être racheté par La Poste : ce serait super en tant qu’entrepreneur. Mais pour CHIP, ce serait perdre le statut indépendant et multi-opérateur qui justement fait notre spécificité. Dans tous les cas, la livraison de colis n’est pas prête à s’arrêter. En 2040, certaines estimations prévoient une livraison par foyer par jour. Il s’agit donc de l’optimiser.
Quelle place de l’écologie chez CHIP ?
On ne peut pas monter une entreprise aujourd’hui sans penser à ce sujet. L’écologie est importante dans ma vie personnelle : je circule en vélo, train, je ne prends pas d’avion. On entend beaucoup dire que les casiers permettent de réduire les émissions CO2 des véhicules de livraison, mais c’est du greenwashing. Aujourd’hui, beaucoup de ces véhicules sont électrifiés et ce raisonnement ne tient pas compte des déplacements des particuliers vers les casiers. Si 15% des utilisateurs prennent la voiture, les avantages écologiques des casiers sont perdus.
Nous plaçons donc ces casiers sur des flux de mobilité existants, et encourageons les utilisateurs à se déplacer à pied, vélo, en transports en commun. Enfin, à long terme, l’idéal serait de réaliser des envois de casier à casier, sans passer par les centres de tri…
Vous avez été accueillis dans un incubateur, que peut apporter en plus un coaching tel que celui de GENILEM ?
C’est une suite logique, une continuité cohérente. Pascal mon coach GENILEM me connaît depuis longtemps grâce à l’incubateur -Pulse, il m’a apporté un sacré réseau, la possibilité de tester mon marché. GENILEM, c’est beaucoup d’entraide, de conseils réguliers. Les déjeuners avec les parrains, en particulier, m’ont permis d’avancer énormément sur le volet commercial, en me permettant de rencontrer de grandes entreprises et d’avoir accès directement aux personnes clés pour mon projet. C’est très précieux.
Propos recueillis par Camille Andres