biped, le guidage autonome des personnes aveugles
Marcher en ville quand on est aveugle demande une anticipation permanente qui ralentit chaque déplacement. La startup lausannoise biped a inventé un dispositif sur le principe des véhicules autonomes qui redonne une autonomie et un confort inédit aux personnes concernées.
Une canne, un chien ou de petits dispositifs électroniques. Jusque-là, les moyens pour permettre aux personnes aveugles de se déplacer de manière sûre ne tenaient pas vraiment compte de critères essentiels : la rapidité, le confort, la fluidité. C’est en 2020, lors du hackathon International Create Challenge que Maël Fabien, alors doctorant en intelligence artificielle à l’IDIAP, laboratoire de l’EPFL, décide de s’attaquer au problème, en changeant de paradigme. Il imagine un harnais de détection, en se basant sur la technologie embarquée par les véhicules autonomes : caméras grand angle et ordinateur autonome… Son concept remporte le hackathon, et obtient ainsi ses premiers financements.
Lors de l’événement Maël Fabien rencontre des partenaires qui seront déterminants pour sa future entreprise : les équipes de l’hôpital ophtalmologique Jules Gonin, l’Association suisse des personnes malvoyantes et surtout Bruno Vollmer aujourd’hui cofondateur et CTO de biped, l’entreprise qu’ils fonderont en janvier 2021. La startup développe un premier prototype en mars 2021, puis, quelques mois plus tard, une seconde version testée avec 50 nouvelles utilisatrices et utilisateurs et ouverte à un programme de bêta-testing.
Elle réunit très rapidement une série de fonds : Venture Kick, Fondation pour l’innovation technologique, SPEI, Fonds du Biopôle…. Une levée de fonds pre-seed réunit 700’000 francs (600 000 francs issus de VC et business angels, 100’000 francs issus de fonds publics). Une fois ces derniers fonds réunis, Maël Fabien quitte la thèse en intelligence artificielle où il était encore inscrit, sans regrets. « J’ai monté ma première boîte à 17 ans. Je me suis toujours dit que mon objectif final était de créer de la valeur avec des projets concrets. »
En janvier 2022, biped participe au Consumer Electronic Show à Las Vegas, y remporte le prix de l’innovation suisse, et entame des discussions avec des partenaires à travers tous les Etats-Unis pour de futures collaborations.
Aujourd’hui, l’entreprise lève des fonds pour garantir la production et la commercialisation de son harnais de guidage, vendu 2’950 francs pièce. Elle compte six salariés à temps plein et un temps partiel. 50% de ses précommandes ont lieu aux Etats-Unis. Récit d’une ascension fulgurante avec son fondateur, Maël Fabien.
Quel est le cœur de votre innovation ?
Maël Fabien : Notre outil est un harnais, porté sur les épaules, équipé de caméras grand angle qui analysent la scène pour prédire les risques de collision, et avertissent l’utilisateur au travers de sons.
Il y a une innovation au niveau de l’outil, le hardware, mais au final c’est un assemblage intelligent de composants déjà existants sur le marché. La vraie innovation qui a nécessité au moins un an de travail non-stop, c’est un logiciel embarqué, qui tourne au sein du harnais et n’est pas relié à un serveur. Il réalise les mêmes prouesses que l’autopilote d’une Tesla, ou presque, dans un format très réduit, un petit ordinateur de 5 cm sur 7. Pour la personne concernée, le changement principal c’est la rapidité et la fluidité de la navigation, mais aussi une vraie réduction du stress car les obstacles peuvent être anticipés beaucoup plus vite et tôt.
Vous vous êtes allié avec votre associé après une rencontre sur un hackathon : on comprend le coup de foudre sur une idée, mais est-ce que la confiance entre vous était suffisante ?
Cela vaut toujours la peine d’aller à ce genre d’évènements, car on y rencontre des personnes qui partagent votre état d’esprit ! Et la sortie des études est propice à ce genre de rencontres. Bruno cherchait à l’origine une thèse, il a flashé sur notre projet, c’est vrai. Mais après cela, nous avons travaillé ensemble durant trois mois, sur le projet en open-source, sans envisager une entreprise dans un premier temps. J’ai vu qu’on partageait la même vision, la même éthique de travail, la même motivation, on avait la même implication : personne n’était effrayé de la charge de travail. C’est ensuite que nous avons décidé d’incorporer la société. On est partis en 60-40 pour la répartition des parts, j’ai pris 60%. En effet, nous avons eu la chance d’avoir des financements dès le premier mois du projet, et Bruno a pu être rémunéré dès le départ, alors que moi non.
Vous avez obtenu une série de financements assez rapidement pour développer votre produit, alors que certains s’inquiètent d’une maturité voire d’une bulle dans la tech, comment l’expliquer ?
Notre chance c’est d’avoir un projet qui a un impact social assez direct et une taille d’entreprise qui peut rapidement grandir. On est dans le ‘tech for good’, ce qui a rallié nos premiers investisseurs privés, attirés autant, voire plus, par le côté philanthropique que par le rendement. Ces business angels représentent 2/3 des 600’000 francs levés lors de notre tour de financement pre-seed, (en plus des 100’000 francs en fonds publics et en aides). L’autre explication, c’est que j’ai été familiarisé assez tôt avec l’importance de réseauter !
Votre entreprise a grandi très vite et rapidement trouvé de financements et un marché. Dans cette trajectoire qu’on pourrait décrire comme ‘exemplaire’, quelle a été la plus-value de GENILEM?
Nous avons eu la chance d’être très bien entourés. Nous avons très vite cherché des gens très bons dans des secteurs précis, pour qu’ils nous ouvrent des portes et nous partagent leurs connaissances dans un secteur. On a des coachs qui nous challengent sur des aspects financiers, techniques, hardwares, etc. GENILEM nous a apporté un coaching et du challenge sur un sujet sur lequel nous n’avions aucune expertise en interne ou dans notre réseau : le marketing, le positionnement et la communication. Nous avons travaillé ces axes-là pour ne pas avoir à les externaliser à une agence. J’avais besoin de comprendre ces métiers en profondeur. On est allés jusque dans des détails comme améliorer notre score SEO, sourcer nos clients, etc. On a beaucoup apprécié cette flexibilité, ce côté ‘à la carte’ qui répondait directement aux besoins de biped.
Comment s’est passé votre premier contact avec le marché américain ?
Nous avons participé au Consumer Electronic Show de Las Vegas sous pavillon suisse, ce qui nous a permis d’aller sur ce salon quasiment tous frais payés et d’ouvrir des connexions avec une grande quantité d’entreprises et d’associations sur place. C’était très intéressant pour nous. Cela nous a permis d’ouvrir les yeux sur la manière et le moment d’aller chercher le marché américain. On envisage désormais beaucoup plus un développement joint avec ces entreprises que ce qu’on imaginait auparavant. Nous avons trouvé des relais et des partenaires de confiance avec qui travailler là-bas pour ouvrir ce marché, pour le moment nous sommes dans la phase d’accréditations par les autorités de régulation.
Ce marché US est-il votre principal axe de développement pour les prochains mois ?
Effectivement aujourd’hui, 50% de notre trafic vient des Etats-Unis où nous avons déjà été médiatisés (podcasts, médias…). Mais nous avons une bonne traction en France, en Suisse romande, en Grande-Bretagne aussi. Notre premier objectif pour le moment est de finir notre tour de pre-seed en septembre. Nous finalisons aussi nos premiers dispositifs de notre première pré-série. Nous livrerons les premiers produits en octobre, date de lancement officielle de biped. Notre but serait d’arriver, d’ici fin 2022 à livrer les premières unités aux USA. D’ici mi-2023, on aimerait obtenir une traction équivalente entre l’Europe et les USA, et faire grossir notre réseau de part et d’autre. Nous recherchons des deux côtés de l’Atlantique des partenaires qui aient des réseaux physiques (associations, établissements médicaux …)., car beaucoup de personnes souhaitent tester le dispositif avant l’achat.
Propos recueillis par Camille Andres